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samedi 22 avril 2006

Spitsberg, 78°c nord, la dernière limite


A 78° Nord, à mi chemin entre le Pôle Nord et le Cercle polaire, se trouve le Spitsberg, un archipel glacé sous tutelle norvégienne. Une banquise exceptionnellement peu présente, des températures moins extrêmes que celles que j'avais imaginées, un programme tronqué du fait des conditions météo, mais l'essentiel a été préservé. Récit d'un raid à ski nordique sur une des terres aux plus hauts degrés de la planète, une terre sauvegardée où l'immensité des lieux semble appartenir à l'ours polaire, un milieu hostile et fascinant, découvert à ski sous le soleil de minuit. 


08/04/2006

Le voyage commence dès Ris Orangis, le moto-taxi m’attend à la sortie de l’école, ma marge manœuvre est limitée... Je récupère mon sac laissé deux jours plus tôt à Roissy. Je dois y retrouver les autres membres du raid. Personne au rendez-vous. J’embarque seul pour Oslo.
Pendant que je récupère mes bagages, j’accoste un membre supposé de l’équipée. Jean Pierre fait partie du groupe. Nous retrouvons  les autres ( Jean-Bernard, Gilles, Benoît et Samuel ) sur le quai de la gare routière.

09/04/2006

Le lendemain, Jean Bernard et moi visitons Oslo.
Oslo est une ville calme, très calme. Peu de bruit, pas de vagues, quelques jolies façades et de vieux gréements accostés au port.





Oslo est réputée pour être une des villes les plus chères du monde... A l'aéroport, nous salivons sur une pizza à 40 euros...
En attendant l’embarquement, vers 16h00, un homme nous demande de parler un peu moins fort (!) Escale  à Tromso après avoir survolé les fjords bordés de neige cotonneuse. Direction 78° nord, Longyearbyen au Spitsberg. Une heure trente plus tard, nous traversons l’épaisse couche de nuage et nous nous frayons un passage le long du fjord enneigé.
A l’aéroport, nous retrouvons notre accompagnateur, Tito, originaire de Puno au Pérou.

Cet hiver, fait exceptionnel, le fjord n’a pas gelé mais l’ambiance est résolument polaire; une ancienne cité minière, coincée entre des montagnes austères. 22h00, 23h00, 0h00, le ciel s’est assombri, pas beaucoup plus.
Après avoir dîné, je me couche impatienté par la suite.

10/04/2006


Lever 8h00, nous devons aujourd’hui préparer le matériel. Tito devait arriver quatre jours plus tôt mais les grèves de SAS, l’ont fait voyager dans le même avion que nous.
Nous nous promenons en ville puis rentrons à pied à la guesthouse. Petit passage à l’église qui surplombe la ville et le fjord.



Les habitants sont armés et seule la porte de la banque impose aux clients de déposer les armes avant d’entrer.
Sur le retour, nous approchons des rennes à cinq mètres. En hiver, ils perdent leurs bois et se parent d’une robe blanche.




Briefing matériel pendant deux heures puis repas. Vers 23h00, la température chute, le ciel se découvre.

11/04/2006


Lever 7h30, le ciel est bleu, balade en ville le long des fjords, l’air est réchauffé par les rayons du soleil.
 




Nous avons rendez-vous avec la chenillette à 18h00. Après une heure et demie d’attente, la chenillette nous emmène pendant quatre heures au travers de larges vallées, à destination de Templefjord.


Elle nous dépose à 1H00 du matin et repart. Nous montons le camp dans un décor surréaliste. Nous sommes au bord de la mer, nichés à l’abri du vent au pied d’une corniche faisant face à des immensités glacées qui paraissent sans limite. Des nuages noirs chapeautent l’horizon.


Le jour ne décline pas, nos paupières non plus… Nous nous couchons à 4h30.

12/04/2006


« Un ours ! ».
Je reconnais la voix de Tito, je me lève sur le champ sans même enfiler ma doudoune ou les chaussons de mes chaussures.  L’ours est à 2OO mètres, il progresse lentement le long de l’eau. Parfois il s’arrête, nous regarde, puis reprend sa marche pataude.



Après une heure d’observation mutuelle, l’ours s’éloigne puis disparaît. Nous partons aussitôt à la recherche de ses traces.



Je constate avec effroi que l’ours a dormi à moins de cent cinquante mètres de la tente…  La taille du trou nous laisse jauger la taille de la bête. Les vents soufflant dans sa direction, il semble ne pas avoir senti notre présence.



Nous prenons un bref petit déjeuner puis nous nous équipons pour explorer plus en profondeur le fjord délimité par ces immenses falaises et le glacier Van Post au fond. Nous partons à ski puis tentons de trouver un passage pour accéder à la banquise.





Le mouvement des marées casse la glace tout le long de la rive.





Nous poursuivons enclavés entre ces immensités de glaces, de neige et de roc. Parfois un cadavre d'oiseau soigneusement nettoyé nous informe de la présence du renard polaire.
Enfin, une coulée d’avalanche partie des corniches nous surplombant, nous permet de prendre pied sur la banquise, nous posons le pied sur la mer. Au fond, les glaces bleutées du glacier Van Post, miroitent au soleil.




Nous progressons vent de face puis faisons demi-tour, la neige est mouillée, la progression est rendue plus difficile. Nous rentrons face au soleil.
Il est parfois difficile de se frayer un passage avec la pulka, les blocs de glace, ralentissent parfois notre marche.
Les phoques nous observent, je décide de m’en approcher, mais lorsque j’arrive à vingt mètres, je me rends compte que j’ai perturbé leur sieste, ils disparaissent aussitôt dans un trou dans la banquise.





Les traces régulières de l’ours sur la neige trahissent sa quête : se nourrir de phoques, elles se dirigent vers les blocs de glace et les trous, à la recherche de son déjeuner.





Ce soir, la décision est prise, nous monterons la garde à tour de rôle. Avec Jean-Bernard, nous devons assurer le créneau 5h30-7h00. Nous nous couchons.

13/04/2006


5h30, je prends mon tour de garde, tiraillé entre l’envie de revoir l’ours et la crainte de le voir de trop près.
JB s’endort dans la tente mess dès 5h15, je reste seul dehors ; petit point isolé au milieu de l’immensité arctique avec le sentiment d’être extérieur à tout ce qui se passe… Et pourtant, rien ne se passe, pas de bruit, pas de vague, rien ni personne vient troubler ma concentration…
Pas d’ours… Je réveille JB et les suivants.
Réveil à 11h30, nous nous équipons, démontons le camp et partons pour le premier camp de notre raid, avec nos 200 kilos de matériel. Nous distinguons la vallée dans laquelle nous devons bivouaquer, nous distinguons également les lourds nuages noirs qui chapeautent cette dernière.
Nous traversons l’immense étendue glacée en bord de mer, le vent est cinglant, mais nous l’avons dans le dos et progressons lentement avec nos pulkas.





Nous nous échangeons régulièrement les deux plus lourdes qui dépassent les 50 kilos.  Une fois lancés, pas de problèmes mais en cas d’arrêt, la pulka colle à la neige et l’impulsion qu’il faut donner pour mouvoir le traîneau est assez importante.
Un col à passer, cent mètres de dénivelée, mes sensations sont bonnes, ma préparation les semaines précédentes a payé…
Nous ne sommes plus qu’à un kilomètre du camp, le vent forcit, il neige et le passage que nous devions emprunter est impraticable : il n’y a pas de banquise.




Vers 19h00, nous montons le camp, bien décidés à trouver un passage dès le lendemain.



La tempête forcit, nous dînons et nous nous couchons.

14/04/2006

Lever 10h30, il a neigé 15 cm dans la nuit, les tentes sont blanches, le vent souffle et charrie des nuages de neige, les pulkas ont disparu. Nous creusons trente centimètres pour qu’elles refassent surface.
Nous partons en reconnaissance.
Le passage est en devers, ponctué de cailloux mais majoritairement glacé. Le risque, une glissade, emporté par la pulka jusque dans la mer. Nous devons attendre que le vent cesse pour tenter d’y passer.
Nous battons en retraite.
Retour au camp, nous ne sommes pas contraints par la nuit, nous attendrons une accalmie.
Pour m’occuper, je creuse avec Benoît une grotte dans la corniche qui surplombe le camp. Une grotte qui peut accueillir trois puis sept personnes debout, avec bancs et vides poches…  Les quantités de neiges sont impressionnantes. Je déneige la tente. Les coups de vents sont violents, nous dînons puis allons nous coucher.

15/04/2006

La situation ne s’est pas arrangée, je déneige la tente, récupère les pulkas sous cinquante nouveaux centimètres de neige puis nous attendons. Une partie de la corniche est tombée, à coté de la tente, certains ont entendu le bruit sourd provoqué par la chute de plusieurs centaines de kilos de neige. Je décide de monter casser les corniches au dessus du camp avant qu’elles ne deviennent trop imposantes. Certains partent marcher un peu, je ne tiens plus en place. A 20h00,il faut prendre une décision.
Soit nous continuons, il faut partir tout de suite, nous aurons une journée de retard. Soit nous rebroussons chemin et récupérons la chenillette le lendemain au camp ou sont restés les membres de l’autre groupe. Nous votons. Nous sommes deux à vouloir continuer, ils sont quatre à vouloir rebrousser chemin. Je m’incline, déçu de ne pas avoir à en découdre, j’avais espéré plus d’engagement… Nous démontons le camp, creusons pour déneiger les tentes et les pulkas, nous nous équipons et partons vers 21h30 sans que l’accalmie espérée n’ait eu lieu.
Au programme : sept à huit heures de ski, vent de face et la neige qui tombe à l’horizontal… Nous progressons face au vent, puis arrivons au col. Avec ma petite pulka, pas de problème, la pente est plus raide mais j’arrive assez rapidement en haut. Pour les plus grosses pulka, c’est une autre affaire, nous devons nous y prendre à deux, voire trois.
Une pulka casse, Tito la répare en plein vent… Nous passons le col vers 0h00 puis entamons la descente.
Nous regagnons la mer, il neige encore plus fort, la visibilité réduite.


Tito s’arrête, prend le fusil, donne le pistolet d’alarme à JB, je m’équipe de mon stylo d’alarme.
A deux cent mètres, un ours…
Nous sommes vulnérables, la pulka ne nous donne qu’une marge de manœuvre extrêmement limitée. Nous devons redoubler de vigilance. Nous passons dans son champ olfactif, il se lève et nous suit. Je ne le quitte pas des yeux. Nous nous arrêtons, il s’arrête, nous repartons, il repart. Pendant de longues minutes, je fais abstraction de tout, je ne me concentre que sur cette tache blanc cassé qui se fond avec les reliefs glacés de la côte. Puis plus d’ours, plus de vent, plus de neige… Nous venons de prendre pied dans la vallée qui nous sépare du camp, nous sortons de la tourmente dans laquelle nous étions depuis plus de cinquante heures.
Il est 2h00 du matin.
L’instant est mystérieux, notre progression lente mais le lieu inspire une sérénité étonnante. Un monde en noir et blancs ou sept points noirs avancent à pas de fourmis.  Le camp est visible. Quelqu’un y monte la garde.
3h30 passés, nous y parvenons, fatigués mais heureux, avec la sensation « d’en revenir » sans savoir de quoi réellement. Mes pieds ont macéré, ils sont criblés de crevasses… Nous montons le camp, dégustons une petite tartiflette et allons nous coucher, il est presque 5h00.

16/04/2006

La chenillette est au rendez-vous, il est 14h00, nous quittons Temple fjord, direction Longyearbyen.


Peu avant d’atteindre la « ville », nous croisons le Prince Albert de Monaco, escorté d’une vingtaine de motoneiges…
Douche, et vêtements propres…
 
17/04/2006


Nous partons pour remonter à ski le col de Longyearbyen, un col surplombant le fjord.




700 mètres de dénivelée, six heures en aller et retour, un renne croisé  et un pique-nique au soleil pour clore le chapitre de nos aventures arctiques…
Balade en ville.


18/04/2006


Départ 14h00 de Longyearbyen, survol des fjords enneigés, atterrissage à Tromso.
Nouvelle nuit à Oslo… Effectivement nouvelle nuit, nous revoyons depuis dix jours l’obscurité de la nuit, mes paupières s’abaissent à mesure que le soleil décline…

19/04/2006

Atterrissage difficile à Paris , il est 10h20.


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